Ivres de joie

Janvier 1799, le peuple de Naples est ivre de joie. Domenico Cimarosa, dont la musique a eu du succès dans toute l’Europe, est enchanté par cette révolution parthénopéenne, inspirée par celle des Français. Il compose un hymne populaire dont le refrain est : Liberté, égalité, fraternité ! Mais le grand rêve napolitain échoue.

Le roi de Naples revient au pouvoir, grâce à la Sainte Foi et à la flotte anglaise dirigée par l’amiral Nelson. Cimarosa, qui pensait n’avoir composé qu’une « musiquette », est emprisonné et menacé de mort. À la forteresse de Sant’Elmo, il continue de composer et surtout d’écrire tout ce qui s’est passé à Naples pendant ces folles journées de liesse et d’espoir. Il admire passionnément la grande Eleonora Di Fonseca Pimentel, qui guide la réflexion des révolutionnaires. Musicien libertin, il aime la vie, le vin du Vésuve et éprouve de la tendresse pour son amante Sapienza, son valet Amadeo et le ténor Paolo.

Dans ce roman à la fois historique, musical et politique, s’entremêlent les sentiments de rage, d’amour et le désir ardent du bonheur.

Parution le 2 novembre 2021

Extrait

« C’est elle, me glissa un ami, Eleonora di Fonseca Pimentel ! » Pour la première fois je voyais celle qui dirigeait le Monitore napoletano, cadet du Moniteur universel français. Les voix s’étaient tues.

« Ne soyez pas si sérieux, mes amis ! lança-t-elle d’une voix sans vibrato. Aujourd’hui, c’est jour de fête ! » Quelques-uns lancèrent timidement des bravos en levant leur verre. Aussitôt toute l’assemblée fit de même, puis attendit la parole de l’oracle. « Et maintenant, il nous reste une heure avant le déclenchement de la fête populaire ! Les affiches sont prêtes ? Le journal peut être vendu au rabais aujourd’hui ! Les cafés doivent offrir des pâtés, du vin et même du café à tout le monde ! A ceux qui n’ont pas les moyens de payer comme aux autres ! Le Comité reversera de l’argent aux aubergistes. Et la musique ? Y-a-t-il de la musique prévue ?»

Les musiciens s’empressèrent de dire qu’il y en aurait ! Toute la journée! Des airs populaires napolitains qui plairont à tous ! Eleonora di Fonseca Pimentel les salua en tendant vers eux son verre de vin.

« Bravo, dit-elle, il faut de la bonne humeur, partout ! Mais a-t-on un hymne révolutionnaire ? » Un tambour lui répondit : « Il y a l’hymne français et les airs de Gossec, le compositeur français ! » La dame eut un sourire d’aristocrate, ce sourire que je connaissais bien, un peu flatteur, un peu condescendant.

« Il faudrait un hymne juste pour nous, pour la Révolution parthénopéenne », dit- elle. Alors tous mes amis se tournèrent vers moi. »

Domenico ! » crièrent-ils. Je fis mine de ne pas comprendre. La grande dame se pencha vers moi, en retrait dans un coin de la table. « Ah ! Citoyen Cimarosa ! » dit-elle en m’envoyant un salut qui contredit l’appellation de citoyen, la tête baissée, comme à la Cour, les mains ouvertes, sa poitrine touchant presque la table. Je hochai la tête, écartai un bras et lui envoyai un sourire aimable. La salle était muette, et soudain, une clameur me submergea. « Do ! Menico ! Do ! Menico ! Do ! Menico ! »

Je me levai et m’inclinai. Les rires reprirent et le patron s’empressa de  remplir les verres. Levant le mien, je déclarai : « Mes chers amis, je ferai comme vous voudrez ! » Eleonora me remercia au nom de tous. De quoi me remerciait-elle ? S’il fallait écrire un hymne je le ferai, ce ne serait pas trop difficile. Mais quelles paroles ? « On va prendre celles du citoyen Luigi Rossi !» lança un jacobin. « Alors, je vais vous donner cela ! » dis-je. On m’applaudit. J’étais heureux, cette magnifique assemblée me ravissait au-delà de tout et je refoulai l’émotion qui m’embuait les yeux. Sapienza me claqua par derrière un baiser bruyant, qui me gêna un peu mais fit redoubler les applaudissements.

Critiques

« Les jours de bonheur, vous préfèrerez Cimarosa ; dans les moments de tristesse, Mozart aura l’avantage. » écrivait Stendhal à propos de son compositeur de prédilection.

Voici un roman original, présentant les dernières années de la vie d’un musicien majeur du XVIIIe siècle, célèbre alors dans toute l’Europe et même jusqu’à la Cour de Russie. Elisabeth Motsch parvient à nous communiquer l’esprit du chant napolitain, la joie de vivre, l’ivresse de la musique tourbillonnante alliée aux espiègleries d’opéras qui ne se prennent pas trop au sérieux. Cette biographie romancée, permet de s’immerger dans une fin de siècle mouvementée. Il y a beaucoup à dire et à apprendre entre la Révolution française qui tente de s’exporter et l’Empire napoléonien en devenir. Un délice pour un lecteur curieux tel que moi. Amateur d’opéra ou pas, on a vite envie d’écouter cette musique dont il est largement fait état dans le récit. Entre Mozart et Rossini, ce Cimarosa est à découvrir ou redécouvrir. Pour commencer, avec ce final de « Le astuzie femminile » qui donne le ton et permet d’aborder le tragique des évènements avec légèreté.  

« Mais à ma chère Gaetana je dois aussi quelques pages inspirées après une superbe scène de jalousie. J’ai écrit très vite la partition de l’opéra Le astuzie femminile, qui lançait des aigus foudroyants au visage du baryton et a connu un beau succès. Je n’ai pas osé la remercier pour cette réussite qui lui était dûe ! »

« Le astuzie femminili » de Domenico Cimarosa – finale par Nelson Portella – 1986

Janvier 1799, Domenico Cimarosa, s’engage au côté des révolutionnaires napolitains en saluant la proclamation de l’éphémère République parthénopéenne par la composition d’un hymne patriotique dont le refrain est : Liberté, égalité, fraternité. Ce qui ne plaît pas, mais pas du tout à Marie-Caroline, la sœur ainée de Marie Antoinette, reine de France guillotinée en 1793. Au retour de Ferdinand IV et de Marie-Caroline cinq mois plus tard, grâce à l’appui des navires anglais de l’amiral Nelson, Cimarosa est emprisonné à la forteresse de Sant’Elmo, celle-là même conquise par les révolutionnaires le 21 janvier.

Le compositeur, raconte ici son enfance, son éducation musicale chez les moines, son séjour auprès de Catherine II à Saint-Pétersbourg, sa vie en prison en tant qu’hôte de marque, menacé malgré tout de mort !

L’ivresse de la liberté, de l’égalité, de la fraternité dans cette république parthénopéenne se marie parfaitement à la musique joyeuse, lyrique et tendre de Cimarosa. Il est aussi question de tendresse quand il parle de Sapienza, « soprano légère » avec qui il a une liaison, de Paolo, son ténor « à la voix souple… libre et fou », de son valet et garde du corps, le taciturne Amadeo, et plus encore quand il s’agit d’évoquer la poétesse et révolutionnaire Eleonora di Fonseca Pimentel.

Grande figure cette Eleonora qui comme la plupart des personnages du livre a bien existé. Elle occupe une belle place et ce n’est que justice au vu de son tragique et injuste destin.

« Celle que nous admirions et suivions les yeux quasi fermés c’était Eleonora di Fonseca Pimentel, une femme exceptionnelle. Poétesse et bibliothécaire, elle s’était tournée très vite vers la République. J’ai gardé le Monitore napoletano du 2 février 1799 où elle avait écrit : Est arrivé pour nous le jour où nous pouvons enfin prononcer les mots sacrés : Liberté et égalité. »

L’écriture est fluide pour ce récit rappelant à notre souvenir une période assez oubliée et bien peu commentée de notre histoire. Les français à Naples en 1799 avec ce Général Championnet pour défendre la République parthénopéenne ? C’est un nom que j’entendais pour la première fois, il évoquerait Parthénope, sirène légendaire obligeant Ulysse à se faire attacher au mât du bateau afin de ne pas succomber à son chant.

« Je monte sur mon escabeau pour voir le paysage à travers les barreaux. J’aime ma ville de Naples, sa forme d’amphithéâtre romain avec le grand M du Vésuve en décor d’arrière-plan et ce golfe magnifique tracé par l’un des volcans éruptifs de ces champs phlégréens. »

J’ai beaucoup aimé ce récit parfaitement présenté par la photo de couverture invitant à la joie du partage, la liberté de la musique et de la culture sous toutes ses formes. Une bouffée d’ivresse joyeuse et musicale appréciable dans une époque moderne privilégiant le triste, les catastrophes, la peur de l’avenir, tel un nouveau carcan afin de contenir les velléités de rébellion des peuples. Nouveau chant parthénopéen dont il faudrait, comme Ulysse, se soustraire afin de conserver la possibilité de parvenir à un monde meilleur.

Je la (Elisabeth Motsch) remercie sincèrement pour cette lecture et souhaite longue vie au Chant des Voyelles, un nom vraiment bien trouvé, une maison d’édition dont je vais suivre – Avec joie – les publications…

Alors que j’apprenais le piano au Conservatoire de Perpignan, au milieu des années 1990, je me souviens d’avoir joué une sonate de Domenico Cimarosa ; ce fut ma seule rencontre avec le compositeur italien né en 1749, bientôt supplanté dans mon répertoire de pianiste débutant par ses illustres contemporains, Mozart, Haydn ou Beethoven. C’est en ouvrant le livre d’Élisabeth Motsch que ce nom, remisé dans un coin de ma mémoire, a tout à coup refait surface, escorté des notes joyeuses de la petite sonate que je croyais oubliée.
Domenico Cimarosa est en effet le narrateur et principal personnage du roman qui débute dans la liesse du 21 janvier 1799. À cette date, les troupes françaises du général Championnet débarquées à Naples, vont, avec l’appui d’intellectuels locaux inspirés par les philosophes des Lumières, chasser les souverains Ferdinand IV et Marie-Caroline, et proclamer la République. Cette République sœur de la République française, qualifiée de parthénopéenne, en référence à la sirène dédaignée par Ulysse qui se serait laissée mourir dans la baie de l’antique Neapolis, connaîtra un destin éphémère. Cinq mois plus tard, le 24 juin, alors que Bonaparte a fait rappeler les garnisons présentes sur place pour consolider son armée dans le nord du pays, les troupes britanniques de Nelson en profitent pour reprendre la ville et rétablir le roi sur son trône. Les chefs républicains sont exécutés et Cimarosa, pour avoir composé l’hymne révolutionnaire de la jeune République, est jeté en prison.
Dans sa cellule de la forteresse Sant’Elmo, l’homme repense à sa vie et à sa carrière de compositeur prolifique :

 » Outre ce rêve magnifique de révolution parthénopéenne, je veux me rappeler quelques moments de ma vie antérieure. Écrire est une façon de retenir le temps avec l’espoir que ces écrits ne seront pas vite jetés dans un tas de déchets ou brûlés ! Et pour les partitions musicales, que quelqu’un les fera revivre. « 

À travers des chapitres courts, portés par l’évidence d’une plume limpide et parfois teintée de mélancolie, le lecteur découvre la trajectoire singulière d’un homme que rien ne destinait à la musique. À la différence de Mozart dont le père, Léopold, était lui-même un compositeur et professeur réputé, Cimarosa est fils d’un maçon et apprenti boulanger. C’est la mort accidentelle de son père, lorsqu’il est âgé de dix ans, qui vient bouleverser une existence toute tracée. Sa mère ayant été engagée comme blanchisseuse dans un couvent napolitain, il part avec elle, et a ainsi la chance de recevoir l’enseignement des moines et les cours du frère Polcano qui lui apprennent le solfège, le violon et le chant :

 » Si j’ai adoré mon père, je sais aussi que c’est sa mort qui m’a permis de changer de vie […] J’en éprouve encore aujourd’hui un sentiment étrange d’étonnement et de vive reconnaissance. Je suis né une deuxième fois après la mort de mon père. « 

Élisabeth Motsch campe avec justesse les personnages qui gravitent autour de Cimarosa. On s’attache à son valet Amedeo, qui l’a accompagné partout depuis son départ du couvent, et vient lui rendre visite quotidiennement en prison. Il y a aussi les musiciens : Sapienza la soprano qu’il aide dans ses démêlés avec son imprésario et devient sa maîtresse ; Paolo le ténor aux cheveux roux et au caractère bien trempé. La personnalité de Cimarosa est elle-même rendue dans ses nuances, celle d’un homme qui a cru à la Révolution mais qui, dans l’attente d’une possible exécution, est submergé de doutes et espère pouvoir sauver sa tête. Le roman, très documenté, permet aussi de découvrir les rapports que les têtes couronnées entretiennent avec les musiciens. On suit Cimarosa à la cour de Catherine de Russie puis auprès de Léopold II, à Vienne, à l’occasion de la création “d’Il matrimonio segreto”, sans doute son opéra le plus célèbre qui – fait unique en son genre – fut enchaîné deux fois de suite à la demande de l’empereur !
La lecture “d’Ivres de joie” permet enfin de découvrir un magnifique portrait de femme, celui d’Eleonora Di Fonseca Pimentel, égérie de la jeune République parthénopéenne et rédactrice de virulents articles contre la monarchie dans le “Monitore napoletano”, inspiré du “Moniteur universel” français. Lorsque Cimarosa lui rend visite sur l’île de Procida, où elle s’est cachée après le retour de Ferdinand IV, cette femme de caractère, issue de la noblesse portugaise lui déclare :

 » Je n’ai jamais aimé que la Révolution et je vais la perdre. Comme je voudrais la retenir […] Je n’ai jamais connu le véritable amour et je risque bien de ne jamais le connaître. J’ai tout donné pour la Révolution et la Liberté comme les religieuses se donnent toutes entières à Jésus et à Dieu ! « 

Elisabeth Motsch aime la musique et sa passion est communicative. Après des débuts en littérature jeunesse, son premier roman pour adultes “Pavane pour un singe défunt” (Grasset, 1995) en parlait déjà admirablement autour de la figure d’un jeune chef d’orchestre et de sa truculente famille d’émigrés russes. Après avoir terminé “Ivres de joie” on pourra donc se replonger avec beaucoup de plaisir dans cet autre roman qui, à l’époque déjà, s’ouvrait par une dédicace à un certain Domenico Cimarosa.

Allier la littérature à l’art musical. Deux arts qui se complètent si bien. Faire des mots une sorte d’ode au bonheur, à la liberté, à la tristesse et à la peur. Pas si facile. Pourtant, l’auteure nous invite à les découvrir au travers d’une histoire bouleversante. Elle l’a écrite avec une telle facilité que nous entendons des sonates, des symphonies dans chaque mot, dans chaque phrase. C’est un bonheur renouvelé durant toute la lecture. La musique baigne et accompagne le récit, le berce et nous l’offre pour mieux le découvrir. Une musique littéraire ou une littérature musicale prémice de la liberté napolitaine.  

Naples au XVIIIème siècle. Des esprits libres se prennent à rêver: ils veulent abolir la royauté et instaurer la république, selon le modèle français. Don Domenico Cimarosa, musicien, fait partie de ces révolutionnaires. Il compose les chants qui sont repris par la population. Ce qui, somme toute, n’est pas sans danger. Il vit entièrement cette révolution au détriment de sa musique. Du fond de sa prison, il raconte son histoire. Son récit est fleuri d’expressions musicales telles que vibrato, allegro, prestissimo, entre autres. j’avoue que j’ai découvert des termes typiques au milieu de la musique. Je n’ai pas trop fait la différence sur les tons des musiciens et des chanteurs. 

 Une ville telle que Naples où des esprits éclairés souhaitent instaurer la République ainsi que l’a fait la France qui vient de mettre fin à la royauté. Cette aventure est racontée par un musicien qui faisait partie de cette révolution napolitaine. Le langage est musical et rythmé. Au XVIIIème siècle, les opéras étaient souvent accompagnés au clavecin et au hautbois. Aussi, ce roman pourrait être un opéra, une ode à l’histoire d’une révolution éphémère qui connut sa période d’allégresse. Un récit qui nous entraine dans des termes musicaux qui nous font voyager et rêver. Un récit qui donne l’impression d’assister à un superbe opéra où les personnages font partie du quotidien tout en souhaitant entrer dans l’histoire avec un grand H. Sublime.