Pourquoi avoir créé les Éditions le Chant des voyelles ?
editionslechantdesvoyelles.com
Février 2024
Chez moi, sous les toits de Paris. C’est là aussi que je travaille comme éditrice.
Après avoir été enseignante, libraire, puis écrivaine et traductrice littéraire, j’ai créé les éditions, en 2017.
Ayant constaté différents blocages dans les maisons d’édition pour lesquelles j’ai travaillé, j’ai décidé de prendre les choses en main. Je ressentais le poids écrasant des décisions commerciales, le rejet méprisant envers les auteurs et autrices qui n’avaient pas eu de succès, le turn over impitoyable des responsables éditoriaux, le pouvoir des modes et des petits marquis de l’édition, de plus en plus réactionnaires.
7 ans plus tard, la situation ne s’est pas arrangée avec le hold up de Bolloré sur toute la culture, la droitisation navrante des responsables politiques et entrepreneuriaux. Je ne suis ni Wonder Woman ni Sainte Thérèse mais je n’aime pas qu’on m’impose des choix qui me heurtent.
Avoir un peu d’argent pour débuter
La mort de ma mère et la petite somme qu’elle m’a léguée m’ont permis de commencer le travail. Je lui en suis reconnaissante.
Pourtant, les dernières années de sa vie, j’ai été sa tutrice et ce fut très stressant. C’était une personne généreuse, gaie et irresponsable, qui ne m’a jamais comprise. Elle n’aimait pas mes livres mais éprouvait une sorte de fierté et de jalousie mêlées à mon égard (Un sujet de roman ?).
Avant ma mère, ma sœur tant aimée est morte d’un cancer. J’étais très proche d’elle. Et pendant des années, j’ai cessé d’écrire et de traduire, bloquée personnellement.
Un travail solitaire
Puis j’ai discuté avec des amies de la perspective d’une maison d’édition où nous ferions ce que nous imaginions de mieux ! On a bu des bières, c’était sympa, mais sans avenir. Aucune n’a voulu s’engager vraiment.
De mon côté, je connaissais bien le monde de l’édition, ses responsables, les réussites et les échecs, j’en avais aussi une expérience littéraire personnelle et je lisais beaucoup de textes. Mais le commerce ne m’intéressait pas.
J’ai bien été obligée de m’adapter !
Les manuscrits
Au début, je pensais que j’aurais du mal à trouver des manuscrits. Aujourd’hui, j’en reçois tous les jours. La plupart par l’intermédiaire du site des éditions. Je serais capable de donner des conseils à des écrivains en herbe quant à la façon de commencer un manuscrit ou de le présenter à un éditeur. (Ne pas annoncer qu’on a écrit un roman très original et très apprécié par des critiques, ne pas raconter sa vie sans aucun rapport avec le manuscrit : j’ai six petits enfants…, ne pas annoncer que c’est le tome 3 et que d’autres suivront…). Et surtout travailler son texte. Un texte n’est jamais fini disait Borges. Mais aussi, s’il y a parfois des illuminations d’écriture, il y a beaucoup de doutes, de retravail, de fatigues. Parfois c’est au sixième roman qu’on trouve la note juste. Et puis on est pauvre. Combien de livres édités jamais achetés même s’ils ont de la valeur ? Il faut avoir d’autres ressources. Un travail par ailleurs, comme Olivier Collet journaliste, Laura Iapadre RH, Estelle Granet universitaire, Aurore Rivals musicienne professionnelle, etc.
Le bonheur de la découverte
Quand on tombe sur un texte qui vous prend tout de suite, quel bonheur ! On est comme un archéologue qui découvre dans une terre aride une magnifique petite pièce. Mais avant de décider de publier, je demande à mon compagnon de me donner son avis. Je l’aime et j’ai une totale confiance en lui. Nous avons des caractères et des expériences de vie différentes. C’est un excellent lecteur-correcteur.
Je travaille aussi avec un webmaster, des graphistes, un maquettiste, une comptable, un distributeur, cela je le dis dans la présentation des éditions sur le site editionslechantdesvoyelles.com
Le travail avec les auteurs et autrices
Parfois le titre change, parfois des passages entiers sont à revoir ou à supprimer mais l’essentiel est là, depuis le début. Nous ne pouvons pas servir de tremplin à des personnes qui ne sont pas mûres pour être publiées. Dans ces cas-là, si elles sont vraiment motivées, je leur conseillerais de fréquenter des ateliers d’écriture. (J’en ai fait moi-même, ça peut être passionnant.)
Et il faut beaucoup lire pour devenir écrivain.e.
Trois livres que j’ai lus récemment et beaucoup appréciés : Une histoire d’amour et de ténèbres d’Amos OZ, L’Art de perdre, d’Alice Zeniter, le Livre du sable et du parfum, d’Abderrazzak Benchaâbane. Des livres d’une grande intelligence émotionnelle.
C’est ce que je recherche, comme éditrice. De la belle littérature et des chemins de vie, du vécu et de l’imaginaire. C’est un peu flou comme définition mais justement il n’y a pas de règles absolues si ce n’est le fait qu’un texte vous emporte ou vous convainc. On peut voir sur le site que les publications sont très différentes les unes des autres. Seule la couverture (que je soigne) rappelle qu’elles sont protégées sous un même toit ! Ceux et celles que j’ai publiées deviennent pour la plupart des ami.es et c’est un autre bonheur. Puis les autres ami.es ne manquent pas pour nous soutenir en venant aux rencontres, ou en commandant les livres.
Cela compense pour moi les longues journées de travail sans rémunération, sans formation technique aux nouveaux médias, et tant de patience !
De quoi est-il question dans ces livres ?
Eh bien de choses très variées. Je vais bientôt publier un livre sur la police. Assez différent de ce que je publie d’ordinaire. Mais un témoignage formidable d’un haut responsable de la police qui aime son métier et le veut dans un champ démocratique. Étonnant pour une vieille soixante-huitarde comme moi ? Non, cet homme est remarquable de probité et je souhaite qu’il s’exprime.
Je déteste les machistes.
Me Too a été une véritable révolution mondiale. Ceux qui ne l’ont pas compris se sont vite fait reconnaître comme d’affreux réactionnaires. Je ne cherche pas spécialement des textes « féministes » mais il est hors de question de publier un texte douteux sur cette question. Je crois que la vraie révolution de ces trente dernières années, outre Internet, c’est le féminisme. Je trouve ridicules ces intellectuels de droite qui méprisent la féminisation des noms sans rien y connaître. On n’a jamais dit qu’il fallait féminiser Baudelaire, comme ils l’ont bêtement répété. Mais Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! comme l’a si bien écrit mon amie Eliane Viennot. Macron, soit dit en passant, a fait un discours lamentable à Villers Cotteret affirmant que le masculin était neutre ! Pauvre président si peu au courant des recherches historiques et des mouvements d’émancipation !
Il y a par ailleurs des évolutions sociales fort appréciables
Comme l’écologie, le début de reconnaissance des personnes avec handicap, la recherche médicale active, le choix de soutenir des petits pays comme l’Ukraine qui combattent le fascisme poutinien ou la lutte des Iraniennes et des Iraniens pour la liberté.
Pour évoquer nos récentes publications, j’ai aimé l’engagement de Kabira Beniz pour la cause des femmes arabes, celle de Laura Iapadre sur le climat et la souffrance animale. Mais de tout cela il n’est pas forcément question. Raphaël Cuvier raconte dans son livre la perte de sa mère dont il se remet après un temps très long, c’est un texte délicat et intense à la fois.
Je suis très sensible à la musique des textes.
Plus sensitive qu’intellectuelle, je sens, je respire, j’écoute les textes. Très attirée par les arts en général, j’ai élevé mes enfants dans cet amour des différentes expressions artistiques, c’est un plaisir que je continue de partager avec eux. J’écoute toujours avec un plaisir gourmand les voix extraordinaires de Jessye Norman, Claes Ansjö, Arleen Auger, Lucia Valentini Terrani, Luigi Alva, à vrai dire toute la musique chantée du 18éme siècle. J’aime aussi Elvis Presley à cause de sa voix d’or ! Je goûte moins les exploits des opéras du 19éme siècle, trop d’emphase, trop d’excès, malgré quelques airs superbes.
J’aime qu’on me raconte la vie des gens.
Dans mon enfance et mon adolescence difficiles, il y a eu des éclats de lumière : les chansons que j’ai toutes retenues, les histoires de mes grands-parents, le parfum de ma grand-mère maternelle qui était pauvre mais avait des goûts de luxe ! Son parfum, je l’ai tout de suite reconnu (c’était Shalimar, que Guerlain a retrouvé).
J’attends de pied ferme les prochains textes.
Il y en a deux en attente. Je les envisage comme des récompenses à long terme. Et peut-être y aura-t-il des surprises aussi, des textes encore inconnus et séduisants !
Mais pendant combien de temps encore pourrai-je continuer cette belle aventure ?