Ciels changeants, menaces d’orages – Vignerons en Bourgogne

Essai

Ce livre est né du plaisir des sens

Ce livre est né du plaisir des sens. Le monde du vin, c’est celui de la musique, de l’architecture, des couleurs, de la botanique, des odeurs, des goûts sur la langue, tous ces choses délicieuses qui m’importent ! Auxquelles j’ajouterais la petite note de folie. Le vin n’est ni utile ni nécessaire à l’alimentation, il existe pour lui-même. Ce caractère unique lui a permis de séduire les plus austères mystiques comme les poètes les plus fous, et de provoquer l’ire des fondamentalistes.

Ce qui m’intéressait c’était de montrer l’humain dans le vin. Me plaît l’idée qu’un vin est à l’image de celui qui l’a fait. Subrepticement, j’ai pénétré cet univers. Certains vignerons m’ont reçue avec prudence, et je les comprends. Ceux que j’avais choisis étaient tous d’honnêtes voire d’excellents vignerons ou vigneronnes. Mais je n’étais pas là pour la promotion de leurs produits, si intéressants fussent-ils. Ce que je souhaitais, c’était faire connaissance et emmener le lecteur avec moi, par la suite. Il y eut de grandes rencontres. Dans certaines caves, nous étions dans un autre monde, grave et léger à la fois.

Je n’ai pas voulu forcer des portes, ni voler leur personnalité à des gens qui me faisaient confiance. J’ai expliqué que mon but était de montrer le lien entre tous les aspects de la vie. Parler précisément de son travail, cela ne va pas de soi, il faut un effort de concentration, chercher le mot juste. Je savais que je marchais sur une corde raide lorsque nous évoquions des soucis financiers ou familiaux, des sujets difficiles à aborder avec simplicité. Mais parfois, un ange passait entre les rangs de vigne !

Elisabteh Motsch ciels changeants menaces d'orages

Actes Sud
2005

Cette empathie n’a évidemment rien à voir avec l’attitude « objective » d’un dégustateur professionnel, par exemple. Chacun son rôle, le mien n’est pas de juger mais d’essayer de transcrire une sensibilité, un choix de vie, une conviction morale et parfois, de profondes remises en question.

Au fur et à mesure que le travail avançait, je voyais de mieux en mieux la façon dont se faisaient les vins, et la volonté de réagir me gagnait. Attention à ce que vous buvez ! avais- je envie de crier. Vous ne voulez plus de poulet aux hormones, plus de maïs transgénique ? Alors pourquoi boire des vins «marketing » ? La même boisson d’un bout à l’autre de la terre ! Ne buvons pas idiot, mais agréable, sain, culturel et varié ! Il faut aller dans les caves et goûter. Goûter encore. Défendre la diversité des vins et respecter les terroirs, tout cela est essentiel (comme l’a exprimé le film « Mondovino », au succès bienvenu).

Outre l’importance de l’éco-viticulture, j’ai découvert une révolution tranquille mais irréversible, celle des femmes en Bourgogne viticole. Il y a 20 ou 30 ans, elles étaient à peine admises dans les cuveries. Aujourd’hui, les femmes sont à tous les postes : non plus seulement dans les vignes ou au secrétariat, mais à la tête d’exploitations et dans les caves. Le vigneron est de plus en plus souvent une vigneronne. Certes le milieu reste marqué par des traditions « viriles », mais la mécanisation des tâches, l’élévation du niveau d’études et les nouveaux modes de consommation du vin favorisent la mixité.

Cependant, il y a « menaces d’orages ». Il ne s’agit pas de défendre les « pauvres petits vignerons » contre les méchants négociants. Il y a du bon et du moins bon vin dans toutes les catégories, mais il est certain que ce tissu de petites propriétés fait aussi la richesse exceptionnelle de la Bourgogne et qu’il serait dommage d’en prendre conscience trop tard.

Je rêve que les « nouveaux amateurs de vin » -les jeunes ou les femmes entre autres-, résistent aux éclats publicitaires et exigent une qualité et une authenticité renouvelées. Pas de goût de banane ajouté, pas de boisé agressif, simplement un produit qui enchante depuis des siècles, qui est imbibé de culture mais qui ne peut et ne doit être autre chose que du jus de raisin. Je souhaite que soit reconnue la valeur de vignerons qui se soucient d’écologie et de la haute qualité de leur produit. Ils sont porteurs d’espoir pour la viticulture et même pour l’agriculture toute entière.

Et il me plaît d’imaginer qu’après avoir refermé ce livre, nous partagerons, en pensée, le plaisir de déguster un bon vin, un vrai.

Elisabeth Motsch

Extrait (première page)

« Le vigneron ne cesse de consulter le ciel. S’il ne parle pas du temps, c’est qu’il y pense, au temps des jours à venir, aux aléas de la saison prochaine. Il l’espère très ensoleillé, pas desséchant, avec de douces pluies nocturnes, pas de gels surtout, pas d’écarts subits des températures.
L’harmonie du monde, il en rêve aussi. Que les saisons se succèdent selon un rituel immuable et que le vin se vende régulièrement, à un prix juste (ou un peu plus). Que le travail de la terre soit fatigant, peut-être, mais gratifiant. Que les vignes n’attrapent pas de maladies, qu’elles s’arrangent avec les prédateurs, que les raisins soient sucrés à point, que les terres ne s’épuisent pas. Que les administrations ne donnent que des conseils d’ami. Que dans les caves on entende le doux ronflement des fermentations tranquilles jusqu’à la mise en bouteille et la pose de l’étiquette. Puis qu’on attende que le temps passe, parce que le temps aime le vin.
A côtoyer le monde du vin, on en vient à regarder le ciel d’une façon différente. Le beau temps devient le temps qui change, soleil et pluie tour à tour, la grêle n’est plus une nuée de météorites mais un jet de pierres glacées qui détruit un vignoble, l’orage, si effrayant soit-il, peut s’avérer bénéfique après la canicule, le vent du nord tant décrié assèche les baies trop gorgées d’eau et les rend succulentes. Un climat subtil et complexe à travers les saisons est le présage d’un bon millésime.
Le vin, je l’ai approché par cercles concentriques. Pour commencer, ce sont les paysages qui m’ont plu, les chemins de crête d’où l’on voit un peu de terre et beaucoup de ciel. J’aime la ville pour la liberté qu’elle donne, mais la campagne bourguignonne offre une douceur hors du temps, inégalable. Pas de précipices vertigineux dans les « Côtes », pas de sensations extrêmes, une nature aimable que les hommes ont modelée sans la défigurer. Les terrasses en escaliers et les rayures des vignes soulignent la descente paisible vers les villages. L’abord de la modernité se fait sans hâte. Il y a, dans le paysage viticole, un idéal d’équilibre.»

Critiques

  • Le Guide du Routard, 2007- 2008

« Ciels changeants, menaces d’orages. Vignerons en Bourgogne, de Elisabeth Motsch (éd Actes Sud, 2005). Livre très attachant et documenté sur l’univers du vin en Bourgogne. Il possède l’avantage de se lire vraiment comme un roman, tout en donnant plein d’éléments concrets, d’infos précises et d’analyses pertinentes sur la fabrication du vin, son environnement, ses acteurs… Car ce livre donne aussi la parole aux vignerons, aux amoureux de leur métier, à ceux qui savent en parler avec enthousiasme et sincérité… Les accents chantent, les cœurs se libèrent et tout cela est mis joliment en musique par Elisabeth Motsch, une Bourguignonne d’adoption qui sait raconter les choses. En contrepoint, des photos, des proverbes, des citations qui transmettent aussi fort bien les atmosphères, les saisons. En prime, aucune austérité dans les narrations techniques et de judicieuses adresses pour remplir sa cave de bonnes bouteilles. Un roman, un livre d’histoire, un guide tout à la fois… L’intro de rêve aux vignes du seigneur ! »

  • Elle à table n° 41, Olivier de Vleeschouwer

« Elisabeth Motsch est écrivain. Partageant son temps, depuis quinze ans, entre Paris et Bouzeron, elle s’est peu à peu laissée séduire par les paysages bourguignons et par cette campagne qui, note-t-elle, « offre une douceur hors du temps, inégalable ». Passant de la nature aux gens –des vignes aux vignerons- elle a du même coup voulu en savoir plus sur celles et ceux qui font le vin de Bourgogne. Et de laisser monter les questions qui viennent en caressant le ventre des tonneaux, celles que se pose le néophyte sur un monde a priori plutôt fermé et plutôt masculin. Mais la jeune femme a du tact et sans doute cette patience qui fait naître parole et confiance. Quand elle pénètre chez eux, quel que soit leur profil, les vignerons doivent sentir que la curiosité qui l’anime est à l’opposé de toute motivation voyeuriste. Et ses questions reçoivent leur juste réponse. Sur les vendanges, l’élevage, le terroir, la taille, les bons vins et les millésimes d’exception. Sur les adaptations obligatoires aussi, face à une concurrence étrangère de plus en plus menaçante. Car si les vins réputés n’ont rien à craindre de l’internationalisation ambiante, on sait bien que les vins de catégorie moyenne n’ont d’autre choix, pour subsister, que de mettre l’accent sur leur typicité, leur caractère propre. Le problème des OGM, de même, est loin d’avoir été réglé par ce que le journal Le Monde a baptisé, le 15 août 2000, « l’appel de Beaune » et qui a abouti à un moratoire de dix ans avant toute mise sur le marché d’OGM concernant la vigne et le vin. Toutes ces questions, pour déterminantes qu’elles soient, ne justifieraient pas l’existence d’un énième livre sur le vin, rédigé qui plus est par une plume extérieure au sérail. Tout le charme de l’ouvrage réside précisément dans le fait qu’il est le fruit d’une très louable volonté de comprendre un monde pas forcément enclin à livrer à n’importe qui les secrets enfouis au fond de ses bouteilles. Mais Elisabeth Motsch n’est pas n’importe qui. Elle est celle qui, un beau jour, avec son compagnon, a décidé d’acheter une maison en côte châlonnaise. Pour les habitants du coin, comme elle le dit elle-même, elle restera une étrangère. En en mettant quelques uns dans son livre, elle leur fait en tout cas le cadeau d’une mémoire. Mémoire à boire et à reboire. »»

  • Bourgogne aujourd’hui n°68, Christophe Tupinier

« Elisabeth Motsch propose une immersion pleine de sensibilité dans le monde viticole bourguignon. L’écrivain est parti à la rencontre de quelques personnalités marquantes : Philippe Charlopin, Jean Thévenet, Aubert de Villaine… mais aussi de viticulteurs plus anonymes. Au fil des rencontres elle met en évidence la passion des vignerons pour leur métier et la culture ancestrale qui l’entoure ou revient sur les histoires singulières qui ont vu émerger ou renaître tel ou tel vignoble. Elisabeth Motsch touche également du doigt les inquiétudes propres à ce métier : concurrence, difficulté à valoriser un travail d’artisan de la vigne, problématique des OGM. »

A Bouzeron, avec famille et amis…