Dans leur multiplicité, les féminismes semblent de plus en plus visibles dans le paysage social et politique

LES INROCKS, 29 octobre 2011

L’affaire DSK a révélé un certain nombre d’enjeux pour le féminisme. Parmi eux, une forme de fracture au sein de la cartographie féministe, comme l’ont illustrée les débats entre la féministe américaine Joan Scott et certaines militantes françaises, accusées de défendre un féminisme « néoconservateur ».Cette division interne vous a-t-elle frappées ?

Elsa Dorlin – Ce que je retiens de cette affaire, c’est la monopolisation de la parole par une poignée d’individus qui ont squatté les médias en parlant au nom du « féminisme » et même du « féminisme français » ou à la française. Ces personnes ont soutenu l’idée qu’un certain art de la séduction pouvait malencontreusement « déraper » et elles ont imposé un débat dans lequel il devenait quasiment incongru de parler d’agression sexuelle et de sexisme. Or tout cela n’est pas représentatif des mobilisations qui ont eu lieu au sein de la « planète » féministe, en France, mais aussi aux Etats-Unis. Pour la première fois, on a assisté à une forme de consensus – le fait de revendiquer, au-delà du cas DSK, des mesures de justice sociale en matière de lutte contre les violences – et à une franche solidarité entre des groupes et tendances qui ces dernières années s’étaient pourtant affrontés sur la question du voile ou celle de la prostitution, par exemple.

Clémentine Autain – Il y a eu un écart entre la réalité des féminismes et le débat médiatique, monopolisé par la position d’Elisabeth Badinter, minoritaire, ou de Marcela Iacub. Ces dernières années, l’accent a souvent été mis dans le débat public sur des sujets clivants comme le foulard, la prostitution ou les mères porteuses. Mais on fait semblant de découvrir que le féminisme est pluriel alors qu’il l’est depuis toujours. Le corpus commun, c’est la visée pour l’égalité, mais évidemment tout le monde n’envisage pas le chemin pour y accéder de la même façon. La question du droit des femmes a longtemps soudé. Nous nous sommes battues sur des sujets ciblés, autour de lois ; aujourd’hui on entre dans le dur, il faut passer de l’égalité formelle à l’égalité réelle et c’est une des raisons pour lesquelles il peut y avoir des brouillages.

*Elsa Dorlin est professeure de philosophie politique et sociale à Paris-VIII. Elle a publié, entre autres, La Matrice de la race – Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française (La Découverte, 2006).

Clémentine Autain est directrice de la rédaction du mensuel Regards, chroniqueuse à France Culture et RTL. Elle a publié Un beau jour… – Combattre le viol (Indigène Editions)