Pavane pour un singe défunt

Extrait (deuxième page)

« Il n’aurait voulu voir, dans l’église et sur scène, que des illuminés amoureux fous du Cantique des Cantiques, stupéfaits, ravis, et qui, à la fin, auraient pleuré de vraies larmes. Mais en ce troisième jour de répétition, après un Exultavit sans grâce, il se sentait très las et seul sur son perchoir.
« Et mon esprit se réjouit ! » dit-il au ténor, avec un sourire crispé. Le chanteur leva vers lui un regard morne –sa voix était exceptionnelle, le reste, moins. John Kopelovsky posa sa baguette et annonça une pause : les visages aussitôt s’éclairèrent.
C’est fou ce que ce chœur est vivant dès qu’il y a une pause, murmura-t-il en passant devant les douze stations du chemin de croix. Il longea les murs froids de la sacristie, salua l’archiprêtre en noir, et se répéta : Ce concert est une chance. C’était le premier qu’il donnait à Paris, il y serait jugé. Son ami Simon, grâce à qui il en avait obtenu la direction, le serait aussi…
Dans la glace des toilettes il vit son front barré, sa touffe rebelle, et songea qu’il aimait, par dessus tout, les soirs tranquilles, le soleil des mi-saisons, un petit dîner avec des gens doux, pleins d’humour, amateurs de bon vin. La musique, oui bien sûr, il l’aimait ! Mais quand elle était bonne avec lui : sensuelle ou stimulante pour son intelligence. Les « performances », comme disaient les Américains, il finissait par les haïr à force de les craindre. Pour un instant de bonheur, il fallait, parfois, donner presque sa vie.
Le ténor vint se soulager, tête baissée. John enfouit son visage dans la serviette gaufrée. La solitude, il la désirait si fort, par instants, qu’il se sentait assailli du désir violent de se laisser tomber au fond d’un trou –n’importe lequel- et d’y rester .
De retour au pupitre, il fut accueilli par le visage fermé du chef de chant : il y avait deux nouvelles extinctions de voix. « Pour un seul choeur, c’est beaucoup » fit John Kopelovsky entre ses dents. Puis il frappa deux coups avec sa baguette, et annonça d’une voix blanche : « Exultavit ». Il était calme et résolu à trouver coûte que coûte la formule alchimique de ce précipité d’amour. »

pavane pour un singe defunt
 

Critiques

  • Le Point, Jacques-Pierre Amette

« Pavane pour un singe défunt » d’Elisabeth Motsch raconte le parcours malhabile et charmant d’un jeune chef d’orchestre d’origine russe qui ne sait trop comment se dépêtrer d’une famille véhémente, pleine d’oncles et de tantes excessifs. Il passe, silhouette flottante, parmi les drames et les menaces, les insultes et les décès, entre rêve et répétitions d’orchestre. On devrait être oppressé par ces enfants du non-dit et du pas-écouté. Tout devrait être obscur et un peu opaque, or tout est gracieux sous l’effet d’une griserie d’écriture et d’un soin du détail. Plus de grand tragique , mais du sentiment météorologique, au gré des jours et des heures ; plus de descriptions, mais des vibrations ; plus d’événements mais des avènements ; plus d’explications mais des intensités, des épiphanies, des culbutes du temps et des coups d’adrénaline. (…) »

  • L’événement du jeudi, Patrice Delbourg

« La pavane est un espace musical lent et grave. Un champ géométrique où les yeux et la semelle glissent. Le récit d’Elisabeth Motsch, au titre aigre-doux, suit cette démarche calculée dans une construction romanesque au cordeau, une phrase pleine d’équilibre, des vagues d’offrande mélodique. Bien sûr la musique est souveraine, celle de Monteverdi, Britten, Ligeti ou Chostakovitch. Mais c’est John Kopelovsky, jeune chef d’orchestre amoureux des Apfelstrudel de chez Goldenberg, des concerts en plein air et des aurores boréales, qui en est le personnage emblématique. Après un séjour de dix ans aux Etats-Unis, il revient en France. Les retrouvailles avec sa famille tentaculaire sont cruelles. Nicolaï Fedor, le patriarche agonise. Les jeux de la mémoire et de la passion font des grumeaux sur le lutrin. Tour à tour sensuel comme un violoncelle, victorieux comme une trompette, pétillant comme une polonaise au clavier, intelligent surtout, presque trop, le récit se faufile entre les pupitres, l’humour offrant souvent son salutaire vibrato. (…) »

  • Le Magazine littéraire, Claude Mourthé

« Il est incontestable que l’auteur connaît la musique. C’est elle, au fond, le personnage principal de cette histoire où s’agite une famille d’origine russe tout à fait extravagante. Soliste, plutôt dans les basses : le grand-père, Nicolaï Feodorovitch, un vieux singe qui roule terriblement les R et n’en finit pas de mourir. (…) Le chef d’orchestre –un vrai-, qui dirige Monteverdi et Ravel-, c’est le petit-fils : John. Il tente désespérément de mettre de l’ordre dans tout ce petit monde à l’aide de sa baguette, et ne réussit qu’à embrouiller davantage une partition, très arrosée de vodka, où les fausses notes ne manquent pas. Mais Elisabeth Motsch réussit parfaitement, selon l’expression même du compositeur de la célèbre Pavane à « étrangler le pathos ». Et souvent à nous faire rire.»

  • L’express, Véronique Jacob

« (…) A mi-parcours du livre se glisse une citation de Rilke : « Ne vous laissez pas dominer par l’ironie, surtout à vos heures de sécheresse. » Ce conseil s’adresse au personnage principal, John Kopelovsky, moujik par son grand-père et américain par les rêves de son père, mais cette déclaration de principe vaut pour le style d’Elisabeth Motsch qui, après s’être fait la plume dans la littérature de jeunesse, écrit un premier roman savoureux. L’ironie y fait des pointes pendant que se danse la pavane. (…) John, trentenaire, se révèle incapable de diriger sa propre vie, d’y voir clair dans ses sentiments et de déchiffrer la partition familiale. La mort de l’aïeul, à la fois crainte et espérée, lève une partie du voile sur les mystères de son enfance. Elisabeth Motsch manifeste un réel talent pour planter le décor chez les Russes de Paris, pour troubler les atmosphères et faire alterner les moments d’enthousiasme et de désespoir. Le ton, la maîtrise de la narration et la façon de camper les personnages : tout séduit. »

  • Le Nouvel Observateur, Jean-Louis Ezine

« (…) L’écriture d’Elisabeth Motsch, elle, frappe juste dans « Pavane pour un singe défunt », superbe évocation d’une fantasque tribu de musiciens russes dominée par la figure de l’aïeul caractériel, barbu et craint de tous : Nikolaï Fedorovitch, dit « le vieux singe ». Le dernier rejeton du clan, John Kopelovsky, jeune chef d’orchestre aussi timoré que talentueux, aura bien du mal à se libérer de cette pesante tutelle.
Il ne manque rien à ce roman musical, ni les violons ni la passion, il va sans dire (et pas même la vodka naturellement). Question pavane, celle-ci serait de nature à réveiller l’infante défunte de Ravel. (…) »

  • Elle, Isabelle Lortholary

« (…) Et sur une petite mélodie, Elisabeth Motsch raconte l’histoire d’un deuil. Si le propos est ténu, il est universel : la mort des patriarches, aimés ou redoutés, laisse les familles orphelines et désemparées. »

  • Le Figaro Magazine, François Nourissier

« Passés à la moulinette de la « rentrée », peu de premiers romans échappent à l’écrasement. Quelques auteurs pourtant ont été remarqués : Elisabeth Motsch, dont j’ai beaucoup aimé la brillante Pavane pour un singe défunt (…) »